samedi 10 novembre 2018

Sous d'immenses verrières


Sous d’immenses verrières dédiées
Aux extases lumineuses
De l’achat et de la vente,
Les galeries se déploient, se croisent, s’enchevêtrent,
Épinglant chaque regard à son objet,
Chaque envie à son bûcher, et le monde
Aux promesses multicolores de son apocalypse ;


Escalators, passerelles, ascenseurs
Relient entre elles les occurrences du désir
Et les faiblesses de la volonté ;
Les pèlerins de l’inutile, en longues files,
Convergent de tous les points de l’horizon pour fuir, ici,
Le vide qui les talonne et cette voix insinuante
Qui murmure ce qu’ils ne veulent pas entendre ;


Une forme cachée se retire, se tord, se replie,
Elle émane de la forêt blessée,
De la terre trouée par les tirs de mortiers,
Des barques naufragées où se brade et s’épuise l’espoir ;
Comment devenir celui que tu n’attendais pas,
Comment dire ce que tes mots refusent de dire,
Un pas de plus hors de toi est-ce cela la mer à boire ?

mercredi 7 novembre 2018

Tu écoutes le bruit, la vibration, la confusion


Tu écoutes le bruit, la vibration, la confusion
De ces désirs qui se mélangent et s’ignorent ;
Des corps innombrables se figent tour à tour
Pour isoler, retenir, photographier
La chute d’une goutte d’eau parmi
Les flèches de verre et d’acier plantées
Dans la lumière du matin ;


Plus loin, bras, jambes, torses cherchent le rythme
De cette stupéfiante accélération de tout,
De tout ce qui nous tire hors des limites
De cette coque
De sensations, de rêves, de pensées, de mots,
Dans laquelle nous aimons voir
La pérennité d’un moi, la solidité d’un refuge ;


Seul, à l’ombre des grands ormes du parc,
Dialoguant avec ton sandwich
Et reprenant ton souffle,
Tu mesures l’ironie de ta situation et l’incongruité
De ta discrétion ;
Faudra-t-il vivre, un jour, sous perfusion de solitude,
Ou inventer une façon plurielle de s’absenter ?

Le corps joue, l'esprit ruse, les yeux veillent


Le corps joue, l’esprit ruse, les yeux veillent,
Le monde triche hardiment sous les reflets de l’innocence ;
Il y a toutefois en chacun une pièce vide,
Un lieu où s’interrompt la partie,
Un lieu où il n’est pas,
Où la signification et les règles du jeu se défont
Sans que s’altère la saveur des enjeux ;


Si tu entres dans cette pièce au bon moment,
Tu y trouveras
La source du ciel, de la terre et de tout ce que tu peux
Nommer, situer, comme de tout ce qui n’a
Ni nom ni adresse et tu pourras
Tout à loisir apprivoiser ta propre absence et lui donner
Couleur de fleur, saveur de fruit ;


Là, tu ne te cherches plus dans les livres, les cartes,
Tu oublies tes pensées propres et jusqu’à
L’étrange sensation d’être là,
Tu deviens juste silence, écho, courant d’air,
Et le hasard te confie chaque fois la même enveloppe
Contenant le brouillon de ces riens qui te font
Porte-saveur de tout ce qui clignote dans le noir…

mardi 6 novembre 2018

Les pas se perdent dans la forêt


Les pas se perdent dans la forêt, aussi les mots, les vies,
Ce qui commence, ce qui finit se confondent,
Ce que tu voulais dire
S’évapore en même temps que les phrases te viennent,
Tu voudrais pouvoir retenir, fixer, au moins
Une ombre, un rien, une buée, mais ton désir lui-même
Est déjà celui d’un autre ;


Voici le moment que tu attendais, le lieu
Que tu souhaitais atteindre,
Les noisetiers le confirment, le soleil l’atteste,
Mais le plaisir que tu éprouves n’est pas celui
Dont tu rêvais,
Il te mène où tu n’es jamais allé, il fait de toi
Le touriste ébahi de tes sens ;


Ce point est un rocher, cette virgule une onde,
Entre les deux ton fantôme vacille, s’évanouit :
Lucidité, humilité, ubiquité ?
D’opacités en transparences, tu apprends à te passer
De chemin, comme à obéir à ce qui ne possède
Pas plus d’autorité ni de force
Qu’un duvet d’oiseau…

lundi 5 novembre 2018

Tu penses à Han Yu


Tu penses à Han Yu, poète Tang, tu penses
À sa disgrâce, à son exil,
À sa moustache ingrate, à son chapeau carré ;
Tu l’imagines buvant son thé, meurtri mais digne,
Tu te dis qu’entre source et delta la vie déborde
Plus souvent qu’à son tour et emporte
Règles et digues auxquelles on se fiait ;


Ce que tu aimes n’est ni ceci ni cela,
Rien qui complèterait « être » ou « avoir »,
Juste une onde plissant la surface des eaux,
Un soupir dont l’objet s’est perdu
Mais dont le souffle court toujours,
Comme un fil qui lierait une vie à une autre
Ou tel mot à ce qui le récuse ;


Mettre de l’ordre dans l’amour, chercher
Les plis cachés sous les coutures,
Trouver l’issue de la stupeur première,
Cela excède tes fonctions et fait flotter bizarrement
Les murs autour de toi ;
Mais demander la lune aux poètes n’est-ce pas
Accepter, comme eux, de nager avec les noyés ?